Du côté de Nancy
J'étais, il faut le dire, dans le pâté. C'était un beau pâté. Le genre
de pâté dans lequel tu massères une bonne période, parce que tu ne sais
plus trop comment t'occuper, parce que tu répètes des habitudes éculées
qui ne te servent plus à t'envoler un peu, je veux dire à être un peu
léger. Cette phrase était plombée d'avance.
Alors je suis parti, j'ai sur-roulé dans la plaine, guidé par les rails, me suis égaré en chemin, grâce à cette Poétique de l'espace,
et puis j'ai retrouvé mon chemin, me suis retrouvé chez Nancy, où j'ai
couché dans la tanière (il n'aime pas que j'appelle ainsi son studio)
de mon ami Jé. Nous avons causé, je lui ai lu de mes nouvelles, nous
avons beaucoup dormi aussi, et nous nous sommes éparpillés dans la garden party
de son ancienne école d'art. Autour de nous : des lapins, des ânes et
des cochons, et des concerts de rock surtout, avec tout là-haut une
chambre de retours, inscrites dans une pénombre où se projettent en
blanc les ombres. Une belle installation !
J'ai fait la rencontre de F et de A, des premières années avec
lesquelles j'ai papillonné dans les locaux. Et j'ai aussi fait la
rencontre fortuite de L, mais à part un jeu de paroles, de regards et
de gestes entre nous, j'ai senti que le coeur n'y était pas. Le mien en
tout cas : une page se tourne, j'ai envie de dire.
Et puis le soir, le noir et le blanc s'enchevêtraient sur le tapis de
go, auquel nous avons joué, moi et Jé. Le lendemain fut instructif :
comme Jé travaille en tant que graphiste avec un archéologue, il m'a
fait visité Nancy, qui pour le coup devint plus belle, plus profonde et
plus étrange. C'était bien ! Jé est une vraie mine d'or, un guide
touristique à lui seul.
Le soir, le Dialogue avec mon jardinier nous a réjoui, lui, moi
et son ami A, et nous avons atterri dans un bar où la bière du jour
était forte et goûtue. Une Jupiler a suivi. Finalement nous avons erré
de nuit, en quête de retour, et j'étais bien là, à ne pas connaître la
peine, à profiter d'A et de Jé, jusqu'à la barquette de fraises que
j'ai engloutie en jouant au go.
Le sommeil approcha et, le lendemain, une partie de go ponctua se séjour avant la gare, où la traversée des plaines fut directe.
En fin d'après-midi m'attendait de l'administratif au boulot, mais
j'étais content d'en faire, parce que je n'en avais encore jamais fait,
et que cela me permettait de mieux intégrer mes fonctions pour juillet.
Le soir venu, je me suis laissé bercé par les images de L'Air et les songes, du même Bachelard, et je me suis endormi, plein d'érotique en tête.
Je me suis dit : décidément, Dieu n'est pas la substance, mais la mouvance, et le mouvement par excellence doit bien être procréatif. Quoi d'autre ?