Celle dont j'ai rêvé
Le dernier cadeau que je lui ai fait, je m'en rappelle, était le livre La Hire, ou la Colère de Jehanne. La romance de Jeanne d'Arc par Régine Desforges que celle dont j'ai rêvé adorait, du début à la fin du cycle de la Bicyclette bleue.
Il y a plein de choses que je désirais lui signifier par là... Il y
avait d'abord la colère, la force et la puissance de convictions dont
elle était capable, que je voulais lui signifier. Il y avait ensuite le
fait que j'étais comme le chevalier La Hire, assistant à sa défaite
toujours plus flagrante devant les remparts de Paris face aux Anglais,
et son immolation proche.
Celle dont j'ai rêvé m'a appris que les femmes avaient un courage
immense, une énergie à toute épreuve. Dans notre couple, c'était elle
qui portait la culotte, et cela me convenait car pour lors je préférais
l'assister et la soutenir, la porter toujours plus haut dans sa rage de
vivre et sa gloire d'être femme.
Je me rappelle la fois où elle m'avait
prêté Kill Bill 1 & 2, que j'avais avalé d'une traite, et
après lequel j'étais complètement époustouflé. Je fantasmais que
c'était elle qui m'avait fait le cadeau de reconnaître la constance
sans borne d'une femme, jusqu'au bout de la haine en pleine dignité, de
cette haine qui est le revers de l'amour. Et là j'ai voulu qu'elle soit
ma tueuse et que je sois son sabre.
De toute évidence, c'est elle qui devait me tuer et j'étais à moi-même l'arme avec laquelle je
mourrais. Il y a là une espèce de masochisme angélique, de béatitude
mortelle, de ce que Gaston Bachelard appelle le complexe d'Empédocle
dans sa Psychanalyse du feu, complexe dont je parle plus avant sur ce blog... Mais tous ceux qui ont lu Le Loup des steppes d'Heinrich Heine me comprendront.
Pour celle dont j'ai rêvé, je voulais absolument mourrir pour vivre
absolument. Je devais connaître par elle - et c'était un impératif
catégorique - je devais connaître une réincarnation. Je devais m'épurer
de tout ce que je fus pour devenir parfait, c'était là l'exigence sine
qua non qu'elle me formulait subliminalement, mais si clairement que je
ne pouvais y déroger sous peine de tout perdre, effroyablement.
Mais je n'avais pas du tout peur. J'étais devenu la peur, et la peur
était moi. Rien de ce que je faisais n'était entrepris autrement que
sous son joug, pour qu'enfin advienne la transfiguration... Et c'est
alors que l'Homme en tant qu'Homme s'est présenté à moi sous les traits
de mon père et a su pulvériser ma carcasse, si bien que je me
réveillais, et que je découvrais celle dont je n'avais jamais rêvé,
celle que j'avais surévaluée... Celle qui, bourrée de complexes jusqu'à
l'os se roulait des tarpés pour se fuir, fumait pour se fuir, buvait
pour se fuir, était phobique des gratte-ciels, phobique de l'imago
paternel, celle qui s'identifiait inconsidérément à sa mère et qui la
vénérait, celle dont les convictions allaient me faire mordre la
poussière et m'épuiser jusqu'à la dernière goutte de sang, la sangsue
sensuelle, la vampire affective et la marionnetiste hors-pair.
Mais celle dont j'ai rêvé, celle dont je n'avais jamais rêvé, celle-là n'était rien de tout cela... Elle était tout cela, dans une moindre mesure !